Les débuts du filigrane

Le filigrane – de l’italien filigrana « fil à grains » – est un ouvrage fait de fils de métal, entrelacés et soudés sur une même pièce de métal (d’après le Petit Robert, éd. 1992).
Cette technique a la particularité de n’utiliser que le métal pur, l’or et l’argent en particulier, car du fait de leur faible température de fusion et de leur élasticité quand ils sont chauffés, un simple gramme suffit pour obtenir plusieurs mètres de fil, le but étant d’obtenir des fils métalliques très fins.
Ce serait les sumériens qui inventèrent les premiers les techniques du filigrane et de la granulation. Les Sumériens sont un peuple vivant en Mésopotamie (au niveau de l’actuelle Irak) entre le IVe et le IIIe s av. J.-C. ! En effet c’est à l’époque de Sumer que l’attrait pour l’or se fait plus grand et que la production d’objets en or augmente comme on peut le voir avec les fouilles des tombes royales d’Ur. L’emploi de la technique du filigrane se retrouve dans de nombreux bijoux, notamment, mais aussi dans d’autres objets (casques, poignards, statuettes…).
L’article « Technological study of gold jewellery pieces dating from the Middle Kingdom to the New Kingdom in Egypt » disponible sur CAIRN (lien visible dans la webographie) montre une étude technologique pluri-disciplinaire sur des artefacts d’orfèvrerie égyptien datant du Moyen Empire au Nouvel Empire (IIIe-IIe millénaire avant notre ère) présents au Musée national d’Écosse (National Museums Scotland). On peut observer sur les bagues d’Armana la technique du filigrane : on peut observer un fil enroulé autour des anneaux. Ceci est considéré comme une forme de filigrane. Les auteurs rapportent le fait que ce type de technique peut se voir dès la fin du Ve millénaire en Egypte, sur des bagues faites de petits fils perlés, et de petits fils en cuivre ou en argent qui ferment la bague en étant torsadés.
On peut voir cette technique sur des bagues de la même époque conservées au British Museum et sur des colliers provenant des tombes des femmes de Thutmose III.
Les chercheurs concluent par le fait que la technique du filigrane et de la granulation étaient possibles à cette époque du fait de l’utilisation d’une soudure forte et c’est justement en observant simplement ces jointures que l’on peut voir en négatif l’utilisation d’une technique où l’on tordait les fils métalliques donc la technique du filigrane.
Romain Prévalet dans son articles « Preliminary observation on three Late Bronze Age gold items from Ras Shamra-Ugarit (Syria) » publié dans Archéosciences, s’intéresse quant à lui à des artefacts d’orfèvrerie du Proche-Orient datant de l’Âge de Bronze (2e moitié du IIe millénaire av. J.-C.) afin de déterminer les caractéristiques techniques des technique du filigrane et de la granulation.
En étudiant trois objets provenant du Musée de Damas (une paire de boucles d’oreilles, et deux colliers), on peut voir l’utilisation du filigrane mais pas pour la décoration des bijoux mais plutôt pour les attaches ou le renforcement de ces derniers.
Romain Prévalet pense que la technique utilisée est le « block-twisting » : on tord plusieurs portions de fils métalliques afin de former une sorte de multi-spirale, qu’on lisse ensuite. On pourrait comparer cela à un fil de laine composé de plusieurs filaments de laine.
Le Pendentif à tête d'Achéloos est un parfait exemple de ce savoir faire Petit pendentif de seulement 4 cm de diamètre. © Base Atlas

Le Pendentif à tête d’Achéloos est un parfait exemple de ce savoir faire
Petit pendentif de seulement 4 cm de diamètre. © Base Atlas

Dans le livre « Les sciences du patrimoine : identifier, conserver, restaurer », il est intéressant de lire le chapitre sur l’authenticité car l’auteur prend comme exemple un pendentif étrusque dit « pendentif à tête barbue de Silène » et une copie datant du XIXe s de l’orfèvre italien Fortunato Castellani. Bref, ce qui nous intéresse dans ce passage est une simple phrase indiquant que dans l’Antiquité, l’usage de la lime n’était pas encore courant. On ne sait donc pas quels étaient réellement les outils que l’orfèvre utilisait pour cette technique.

Pour aller plus loin :
– un blog écrit également par des étudiants de Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur les tombes royales d’Ur : https://lesziggourats.wordpress.com/2010/05/21/la-metallurgie-et-lorfevrerie-a-ur/
– le catalogue de l’exposition « L’or grec » du Musée de l’Ermitage d’Amsterdam.
AS.L

Le filigrane aujourd’hui

Aujourd’hui on peut retrouver la technique du filigrane sur des bijoux, dans des ornements, etc.
Il est toujours réalisé à partir de fils d’or ou d’argent. C’est un travail demandant beaucoup de précision, une régularité dans l’étirage du fil et de ses torsions et des soudures que l’on ne doit pas voir.
Elle permet, dans la bijouterie par exemple, l’obtention d’objets légers, plus ou moins gros, en utilisant que peu de métal. Il peut être ajouré ou appliqué sur une plaque de métal lisse.
La difficulté de la réalisation de cette technique fait toute la valeur monétaire de l’objet plutôt que le métal qui le compose.
La technique en soi consiste à la réduction et l’étirage d’une matière métallique en un fil très fin. Le fil sera par la suite travaillé de différentes manières (enroulé, torsadé, martelé, …).
Les fils sont ensuite liés entre eux par soudure afin de constituer un bijou ou alors participer à la fabrication d’ornements d’artefacts d’orfèvrerie (comme on peut le voir notamment sur les Oeufs de Fabergé).
On dit de cette technique qu’elle produit « un effet de broderie ». On imagine donc bien la finesse du travail et la précision de celui-ci.
C’est une technique qui ne peut être mécanisée, et qui relève donc de l’artisanat. On dit qu’elle est encore réalisée selon la méthode de Benvenuto Cellini dans son « Traité d’orfèvrerie ».
Voici un lien du site « Gallica » de la BnF qui vous permet de lire le chapitre de ce traité : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6574141v/f270.image
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Montre Cartier ronde modèle Louis Cartier filigrane

Cartier est une des bijouteries de luxe qui continue de pratiquer la technique du filigrane, notamment pour décorer l’intérieur des cadrans de montre.

On peut lire sur le site de la marque : « Cartier s’est donné comme devoir de recenser, comprendre et faire évoluer ces trésors d’artisanat« .  Elle s’est donc intéressée aux techniques de la granulation et du filigrane, qui sont donc toujours liées aujourd’hui.
Les artisans de cette maison utilisent des fils d’or ou de platine, qu’ils vont torsader et adapter à la taille du cadran d’horlogerie. Les artisans terminent par le martelage de ces fils métalliques.  Suivant les motifs souhaités, les fils sont alors modelés (comme pour la technique du cloisonné). Les fils sont ensuite soudés à la plaque métallique servant de fond au cadran. . »
Un exemple de l’application de cette technique est le modèle « Ronde Louis Cartier » qui a nécessité 10 jours de travail pour le décor filigrané des deux têtes de panthères ! « Torsadés, laminés, enroulés, coupés en petits anneaux ces fils ont été assemblés selon la technique du filigrane « à jour » qui permet de fixer les éléments sur les côtés et non sur le fond. ».
Voici une vidéo illustrant chaque étape nécessaire à la réalisation de cette technique, qui est amplement suffisante pour comprendre le principe :

On voit que pour la réalisation même des motifs, l’artisan n’utilise qu’une simple pince coupante pour repousser le fil et lui faire prendre la forme désirée. Il travaille également à partir d’un seul fil, qu’il coupe au fur et à mesure qu’il réalise ses motifs.
A-S.L.